Derrière ces discussions, se profile un débat de fond sur le type de développement que les Québécois veulent se donner : l’humain au service du développement économique ou l’économie au service du développement humain. La pensée dominante aimerait bien que l’on cesse, selon elle, ces débats stériles, que l’on arrête de se chercher des poux, pour mieux se concentrer sur le développement de notre économie.
Pour d’autres, dont la voie se fait entendre timidement, mais parfois avec succès, le développement humain doit primer sur le développement économique.
En France, la mobilisation victorieuse autour du contrat de première embauche (CPE) a stimulé un débat que, selon Anne-Cécile Robert, la pensée dominante aimerait bien refouler parce qu’il nuit au développement mondial du marché.
Il faut lire son article Occident contre Occident, publié dans le numéro de mai 2006 du Monde Diplomatique. En voici quelques paragraphes.
«De la controverse sur le traité constitutionnel européen au rejet du contrat de première embauche (CPE) émerge un débat de civilisation. Quelle place pour l'humain face au marché ? Quelles valeurs la société veut-elle défendre ? Depuis des décennies, qu'il s'agisse de la théorie de la «fin de l'histoire et des idéologies» ou de celle du «choc des civilisations», on cherche à étouffer ce débat vital. S'il existe, le «choc» traverse l'Occident lui-même.
A juste titre, la théorie du «choc des civilisations» a suscité une levée de boucliers. Cependant, si on a débusqué le mépris dont elle couvre les sociétés arabo-musulmanes, on ne s'est pas assez attardé sur ce qu'elle signifie pour les sociétés occidentales elles-mêmes. Au-delà de son objectif «externe» (justifier la politique impériale de M. George W. Bush et coaliser le maximum d'Etats et de forces autour de lui), cette théorie a, en effet, pour fonction ultime d'étouffer, grâce à une fausse opposition, les conflits sociaux et idéologiques qui ont toujours traversé l'Occident.
Depuis des décennies, la pensée dominante et les philosophes de référence tentent de nier ces divergences essentielles : proclamation de la fin des idéologies et de l'histoire, négation de la division de la société en classe, etc. Très en vogue à partir des années 1970, la «critique du totalitarisme», déformation de la pensée de Hannah Arendt, a contribué à cette entreprise d'occultation. En renvoyant dos à dos nazisme et communisme, au nom d'une analyse instrumentale de la dictature, ce courant de pensée masque en effet leur différence de nature (le nazisme comme accomplissement d'un projet liberticide ; le «communisme réel» comme perversion de l'idéal démocratique et des luttes populaires). Prise en étau, la réflexion sur l'émancipation sociale et politique en ressort toute chétive. A partir des années 1980, au nom d'un prétendu «réalisme» économique, le triomphe du libéralisme parachève la dépolitisation de la société en substituant à la question sociale la dictature des «faits» (gérer et ne plus rêver, «mondialiser» sans faire de politique ...).
L'Occident a toujours été traversé de contradictions et de conflits et chaque victoire (droits humains, droits sociaux, émancipation des femmes) a été obtenu au prix d'âpres batailles dont l'opposition du mouvement ouvrier à la violence économique fut un des principaux moteurs. Les sociétés occidentales sont, à chaque période de leur histoire, le résultat de ces rapports de forces. Or ce sont ces affrontements que l'on a tenté d'effacer dans le dernier quart du XXe siècle, remettant ainsi en cause tout idéal de progrès. Une école historique «culturalo-politique» (François Furet) s'est d'ailleurs imposée, dans les médias et les cercles de pouvoir, contre l'histoire sociale (Michel Vovelle). Plus récemment, comme la critique du totalitarisme, une certaine vision de la «fracture coloniale» tend, au nom du décryptage des mentalités, à globaliser les sociétés occidentales et à occulter les oppositions au colonialisme, apportant ainsi un soutien inattendu au «choc des civilisations».
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Robert, A.-C. (2006, Mai). Occident contre Occident. Le Monde diplomatique, p. 3.
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