lundi, mai 22, 2006

Selon Nathalie Elgrably, le commerce équitable «...est une combinaison de commerce et de charité qui freine le développement des pays pauvres...»

Selon Nathalie Elgrably, économiste à l’Institut économique de Montréal, le «...«commerce équitable» n'est qu'un slogan racoleur qui permet aux consommateurs occidentaux de s'acheter une bonne conscience en déboursant quelques sous de plus pour leur café ou leur chocolat. En réalité, ce concept est une combinaison de commerce et de charité qui freine le développement des pays pauvres au lieu de l'accélérer.» (Elgrably, 2006)

Pour elle, la solution pour les pays sous-développés est simple : libérez le commerce.

La découverte de mes vertus

J’achète du café équitable Santropol en grains depuis deux ou trois ans. En plus d’être équitable, il est biologique et très bon.

Ce café me coûte 29$/kg. Un café Van Houtte en grains non biologiques coûte 26$/kg. Pour elle, payer un peu plus de 10% pour un café de qualité supérieur et biologique, c’est de la bonté, de la charité. Cette révélation me remonte le moral. Je suis charitable et je ne le savais pas.

Saviez-vous que je pratique aussi la charité envers mes compatriotes québécois. Depuis quelques années au Québec, certains producteurs de fromage ont réussi à produire des fromages de grande qualité : Pied-de-Vent, Riopel de l’Isle, etc. J’en achète à l’occasion. En sachant maintenant que je fais la charité, le goût n’en sera que meilleur.

Plus j’y pense, plus je réalise que je fais beaucoup plus la charité que je ne le pensais. J’achète mon pain dans une petite boulangerie de quartier. Les croissants y sont délicieux. Encore de la charité. J’avoue que ma bonté m’époustoufle.

De plus en plus, j’achète des produits biologiques qui ne sont pas produits à grande échelle. et semble perpétuer une production inefficace. Encore de la bonté.

J’arrête avant que l’on ne me sanctifie.

L’appauvrissement est un poison qui se distille lentement mais sûrement

Madame Elgrably se désole parce que des barrières tarifaires protègent les agriculteurs des pays industrialisés de la concurrence des pays en développement. C’est vrai, mais soyez patiente Madame Elgrably, tout ne peut pas de faire en même temps. Pour être efficace, l’appauvrissement de la classe moyenne doit agir comme un lent poison. Au Canada, les politiques mises en place depuis quelques années ont réussi, lentement mais sûrement, à produire le plus haut taux de pauvreté depuis trente ans ((Ross, Scott, & Smith, 2000)).

Si cela peut vous rassurer, l’ouverture de nos marchés à la Chine, à l’Inde, etc., offrent de belles perspectives d’appauvrissement pour nos concitoyens. Aussitôt, qu’il sera politiquement possible de le faire pour les agriculteurs, les politiciens au service du capital monopolistique ne raterons pas l’occasion d’abolir les barrières qui freinent son développement.

Les «bienfaits» du libre commerce sur les petits producteurs de café

Sur un autre ton, qu’est-ce qui pousse les petits producteurs de café vers le commerce équitable ?

Dans son livre Acheter c’est voter - Le cas du café, publié en 2005, Laure Waridel illustre bien l’effet du «libre commerce» sur les petits producteurs de café.

«La crise du café illustre bien la vulnérabilité de ceux et celles qui se trouvent au pied du système d’échanges. Au cours des dernières années, les prix – établis aux Bourses de New York et de Londres – on chuté à un niveau plus bas que jamais en dollars constants.
De fait, ils sont au-dessous des coûts de production. Depuis 1997, ils ont perdu 70% de leur valeur. Au moment où j’écris ces lignes [2005], des intermédiaires achètent le café des paysans mexicains pour environ 0,44$ le kilo, tandis que les consommateurs nord-américains ou européens déboursent de 8$ à 30$ pour la même quantité. Dans une cinquantaine de pays, environ 25 millions de familles subissent les impacts douloureux de la crise du café. Nombreuses sont celles qui n’ont plus les moyens d’envoyer leurs enfants à l’école ni de payer pour des soins de santé. Au même moment, en Occident, les entreprises multinationales vendant ce même café affichent fièrement des profits records. Les actionnaires du Nord sont heureux et les gestionnaires de fonds de pension aussi.»
(Waridel, 2005, p.22-23)

Face aux résultats inhumains du capitaliste libre et sauvage sur leur mode de vie, certains petits producteurs de café se sont organisés en coopérative pour trouver des débouchés à leur production sur un nouveau marché, celui du commerce équitable. Ce commerce équitable offre de meilleurs revenus aux paysans de pays en développement et des produits biologiques aux consommateurs des pays développés.

Je ne suis pas économiste comme madame Elgrably, mais, selon moi, faire du petit capitalisme ce n’est pas la charité. Il est vrai, qu’acheter du café à un petit paysan du Sud à un prix intéressant, est assez rare. C’est sans doute là que réside la charité dont parle madame Elgrably. Sans doute nous expliquera-t-elle un jour le sens profond, le secret, de cette nouvelle forme de charité issue, non pas de la morale ou de la religion, mais de la science économique.

«Libérons le commerce»

«Libérez le commerce» : c’est la solution préconisé par madame Elgrably pour favoriser le développement des pays pauvres.

Dans le cas des producteurs de café, la libéralisation des marchés a été une catastrophe. De plus en plus de citoyens dans le monde jugent la mondialisation à ses fruits ... pourris : pauvreté grandissante, inégalités sociales en croissance, environnement dégradé.

Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie et ancien vice-président de la Banque mondiale n’est pas un communiste. Pourtant, selon lui, les réflexes protectionnistes face au libre-échange augmentent parce que le travailleur moyen peut se trouver mal en point (Pelletier, 2006).

Amy Chua, professeure de droit à l'Université Yale, dans son livre World on Fire soutient que le fossé dans la redistribution de la richesse est une cause de l’accroissement des conflits interethniques dans les pays.

«Si on regarde les statistiques de la Banque mondiale, on s'aperçoit que le revenu des pauvres de la planète a augmenté au fil des ans. Sauf que dans la plupart des cas, l'augmentation a été minime, presque imperceptible. La vérité, c'est que la majorité des gens n'ont pas accès à de l'eau potable, à l'éducation, aux services de santé, alors que tous les jours ils voient une minorité de leurs concitoyens s'enrichir à vue d'oeil. L'élite vit dans des palais immenses, collectionne les voitures de luxe et envoie ses enfants étudier à l'étranger.» (Bérubé, 2003)

Dans un livre publié en 2005, John Ralston Saul, le mari de l’ex-gouverneure-générale vient tout récemment d’annoncer la mort de la mondialisation (Saul, 2005). Il soulève une contradiction particulièrement vive de celle-ci : elle souhaite accroître la démocratie dans le monde tout en affaiblissant, en pratique, l’Etat-nation qui en est le support.

Pourtant, malgré les questionnements de plus en plus précis et nombreux suscités par les résultats de la mondialisation, certains comme madame Elgrably, s’accrochent à cette idéologie comme à une religion.

Le commerce équitable, symbole d’une alternative à oublier

Du point de vue du commerce mondial et même du point de vue du commerce avec les pays développés, le commerce équitable, c’est une goutte d’eau dans un océan. Alors, pourquoi madame Elgrably, une économiste au service du patronat s’attarde-t-elle à critiquer, maladroitement selon moi, un phénomène aussi insignifiant ? J’avoue que cela m’a intrigué.

Je crois que ce qui l’agace, c’est le symbole. Le commerce équitable, malgré son aspect dérisoire est le symbole d’une alternative possible dans la lignée du Forum social mondial dont un des principes est le suivant :

«Les alternatives proposées au Forum Social Mondial s'opposent à un processus de mondialisation capitaliste commandé par les grands entreprises multinationales et les gouvernements et institutions internationales au service de leurs intérêts. Elles visent à faire prévaloir, comme nouvelle étape de l'histoire du monde, une mondialisation solidaire qui respecte les droits universels de l'homme, ceux de tous les citoyens et citoyennes de toutes les nations, et l'environnement, étape soutenue par des systèmes et institutions internationaux démocratiques au service de la justice sociale, de légalité et de la souveraineté des peuples.» (Forum social mondial, 2002)

Or, depuis la chute du communisme et la victoire du capitalisme, les tenants de la droite, en particulier aux Etats-Unis, ne veulent plus entendre parler d’alternative. Cela fait des décennies qu’ils se battent contre ceux qui cherchent une alternative au capitalisme et ils ont enfin gagné, du moins c’est ce qu’ils croient. Ils ne veulent donc plus en entendre parler de ces utopies improductives.

Le gouvernement des Etats-Unis l’a dit haut et fort en 2002 dans sa politique de sécurité nationale The national security strategy of the United States of America. Il n’y a plus qu’un seul modèle de développement, c’est le modèle capitaliste proposé par les Etats-Unis.

«The great struggles of the twentieth century between liberty and totalitarianism ended with a decisive victory for the forces of freedom-and a single sustainable model for national success: freedom, democracy, and free enterprise.» (United States. Executive Office of the President., Bush, & United States. President (2001- : Bush), 2002)

C’est-tu assez clair ? F-I-N-I.

Notre civilisation voyage-t-elle sur le Titanic ?

Pourtant, les sirènes d’alarmes ne manquent pas.

Parfois, j’ai l’impression que notre civilisation voyage sur le Titanic. Les vigies nous avertissent des dangers qui se pointent à l’horizon : graves dangers environnementaux, inégalités de revenus qui atteignent des sommets abyssaux, un SIDA galopant, etc. Le capitaine nous rassure : le capitalisme est imparfait mais il va surmonter ces problèmes.

Le constat d’une étude de l’ONU, réalisée en 2005 par 1300 experts de 95 pays, est inquiétant.

«La planète Terre a franchi le seuil de la viabilité, selon une étude lancée par l'ONU dans le cadre des activités du Millénaire, car plus de 60 % des écosystèmes dont dépend notre espèce, comme l'eau potable et les pêcheries, ainsi que les contrôles de la qualité de l'air, de l'eau, des climats régionaux et des parasites se sont détériorés au point de dépasser le seuil de la viabilité.» (Francoeur, 2005)

La pauvreté et les inégalités croissent.

Le Rapport mondial sur le développement humain en 2005 remarque que l’«...on observe une tendance claire à l’accroissement de l’inégalité à l’intérieur des pays au cours des deux dernières décennies» (Programme des Nations Unies pour le développement, 2005).

Face à cela, notre civilisation ne devait-elle pas se remettre en question, tenter des expériences novatrices pour changer le cours des choses. «L'imagination est plus importante que le savoir», nous dit Albert Einstein dans Sur la science (Source : Evene.fr). Imaginons de nouvelles façons de produire et d’échanger. La découverte scientifique ne peut se passer d’explorer de nouveaux sentiers.

La vision mondialiste de Madame Elgrably ressemble fort à du dogmatisme. Le dogmatisme n’est-il pas le signe d’une idéologie moribonde ?

Sources

Bérubé, N. (2003, 24 mai). Quand la mondialisation alimente la haine. La Presse, p. B5.

Elgrably, N. (2006, 17 mai 2006). Le commerce équitable. Le Journal de Montréal, p. 24.

Forum social mondial. (2002). Charte des principes du Forum social mondial. Visionné le 2004-03-21, 2004, de http://www.forumsocialmundial.org.br/home.asp

Francoeur, L.-G. (2005, 30 mars). Les grands écosystèmes n'en peuvent plus. Le Devoir, p. a1.

Programme des Nations Unies pour le développement. (2005). Rapport mondial sur le développement humain - 2005. Paris: Économica.

Ross, D. P., Scott, K., & Smith, P. J. (2000). Données de base sur la pauvreté au Canada ( , mise à jour 2000 ed.). Ottawa: Conseil canadien de développement social.

Saul, J. R. (2005). The collapse of globalism : and the reinvention of the world. Woodstock: Overlook Press.

United States. Executive Office of the President., Bush, G. W., & United States. President (2001- : Bush). (2002). The national security strategy of the United States of America (pp. vii, 31). [Washington]: Executive Office of the President.

Waridel, L. (2005). Acheter, c'est voter : le cas du café. Montréal: Éditions Écosociété.

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